Esquisse

La naissance des squats artistiques en France au début des années 80 n'obéit pas purement à un besoin d'atelier.
Les désirs et les motivations conscients ou inconscients de ceux qui ont été les pionniers constituent un bon et beau bouquet.
Il y a le désir de vivre autrement, de prendre de la marge vis-à-vis du statu quo social, d'engager certaines intuitions, certaines idées dans une praxis, praxis de la liberté, de la créativité et de la fraternité, le désir de conquérir un espace-temps de vie, de travail fraternel, ludique et festif pour le quotidien, distant des modèles sociaux consensuels en vigueur.
Il y a aussi sans doute le charme de ces usines abandonnées, de leur atmosphère, de leurs objets qui va jouer pour certains un rôle fondamental dans le développement de leurs œuvres artistiques.
Il y a le désir de se trouver ensemble, de partager les sentiments, les pensées, les façons d'être et de faire avec les autres, de tourner le dos à la société de consommation, à la société marchande et de vivre plus simplement, avec moins de moyens, une sorte de dénuement voulue, comme une réponse alternative à une société occidentale riche à l'excès, comme une réponse à la cupidité régnante.
Il y a cette notion de gratitude dans la gratuité, cette notion de restitution, de présentation plutôt que de représentation.
Il y a cette volonté de relier fortement l'art à la vie, de cesser de considérer l'art comme un métier, de se détacher d'une volonté trop individualiste de réussite, de vedettariat, pour un art en soi sans valeur ajoutée, pour s'entourer de beauté, la partager et en jouir au quotidien.
Ce superbe capharnaüm, ces ateliers où travaillaient dix artistes sans portes ni parois, où venaient s'installer, s'accrocher, se poser des centaines d'œuvres, les unes comme les uns à côté des autres !
Cette volonté, cette action de s'ouvrir au quartier, de participer à sa vie, d'apporter gaieté et joie, d'insuffler un air libertaire et libertin à la fois.
Les squats remplis de tant de désirs, faits de tant de choses, de tant de rencontres, sont devenus en soi de fabuleuses œuvres collectives, où chaque individu pouvait développer son art sans contraintes ni de style, ni de concept, ni de rien d'autre que le fait d'arter.
Les squats artistiques ne se sont pas constitués en fonction des tendances tendancieuses de l'art ; pas de « ismes », avant-garde et autres trans-avant-garde.
La mouvance des squats artistiques est restée ouverte et perméable à toutes les formes d'art.
Arter ensemble, arter la vie, arter l'amitié, arter les plaisirs, arter les pensées, partager ensemble la quête constante du sens de l'humain.
Seul un observateur attentif, seul un chercheur acharné peuvent trouver ce qu'il y a de particulier, de différent dans une œuvre née dans un squat artistique, comparée aux œuvres faites ailleurs.
D'un autre côté, la révolution, s'il y en a une, au sein de cette mouvance, n'est pas à trouver dans les objets mais dans le rapport à l'art, une façon particulière de le présenter, de le partager, de vivre et de vibrer avec l'art (arter).
Pour cette mouvance, tout le monde est un artiste, y compris le spectateur. Cette idée de Joseph Beuys, nous l'avons incarnée, nous la mettons en pratique tous les jours, nous la rendons vivante par notre engagement, comme nous le faisons aussi pour toute œuvre de tout temps.
Arter la vie, c'est la plus belle utopie qui nous rassemble.
Vivre la vie comme un poème épique, baroque, romantique, classique, tout ça à la fois.
A.I.S.A. Longue vie à l'Action Installation des Squats Artistiques, sans institution ni maître.

Luis Pasina