Gratuité

J'ai entendu de la bouche d'une enfant de trois ans : « cette maison m'appartient, je la prête à mon papa et à ma maman ». En entendant ces propos, je me suis souvenu d'un proverbe indien qui dit : « la terre appartient aux enfants, c'est eux qui nous la prêtent ».

Nous vivons dans une époque où tout dans notre société est devenu privé, réglementé, et a un prix; il n'y a pas un m'être mètre carré sur cette terre qui n'est pas enregistré, sans personne pour en revendiquer la propriété. Il n'y a pas une seule chose sur laquelle nous n'avons mis des signes d'une monnaie quelconque. Même l'air et le soleil ont leur prix aujourd'hui.
Nous avons perdu le sens de la gratuité.
Nous naissons au monde et le monde nous est aussitôt retiré. Nous naissons sans appartenance.
Même nos désirs sont mis à prix.
Nous avons fait de notre humanité un grand marché, un grand, un unique « merveilleux » marché.
Nous sommes devenus des marchands, marchandises, marchandises marchantes.

Nous avons perdu le sens du naturel, le sens ontologique. Nous nous sommes coupés des archétypes. Nous sommes des types réfléchissant sur des types. Nous sommes devenus des hommes-à-tic. Et nous avons décidé de trouver ça normal, normal, normal, normal, nooor-maaal-hiii-sssés .
Et comme toute norme se prétendant règle qui se respecte génère des exceptions, sont nés les petits squatters.
Une espèce rare. Une sorte de dégénérescence de la race arienne rasée d'ariens, ceux qui se prétendent fils d'Ariane, aspics-ecktions, branche mal greffée tombée de l'Arbre-P, et qui a voulu faire nid-à-part.

Ces sauvages übriliques, ces nouveaux Oedipes aux pieds enflés, décrochés par les bergers-hasard, qui ont violé la mère-Loi en introduisant leurs corps gonflés dans ses pubis républicains, et en cassant la gueule Laïos-laïus-lapsus d'un père-qui-fait-peur-État — on aurait dit que Dionysos, avec son pied de vigne, a réussi à percer la couche de bitume qui nous sépare de la terre dans notre cité bête-au-nez. (c'est toujours avec les vieilles choses qu'on fait matière à recyclage de nos rages pour notre entourage qui devient de plus en plus con au lieu de sage au fil de l'âge au fond de pension pour décorer les tombeaux des morts-vivants).

Ces putains, fils de putains, malgré eux, ont revécu le collectif, dithyrambique, bordélique, anarcho-stupi-méfiant, à l'encontre, sans se souiller de reconnaissance, pour s'en faire enfer, de la vie, en artant-« arto »ensemble, malgré l'ensemble.
L'autre c'est l'enfer, allons vers l'autre! Et artons ensemble.
Ce n'est pas parce qu'on est éclair qu'on est mieux illuminé.
Le respect, c'est un mot perverti dans la bouche-à-égout politiquement éco-correcte.
Le besoin fait toujours des hérétiques, la nécessité des nécessiteux. et le ressentiment nourri les vautours à rebours.

Aujourd'hui Apollon est confondu avec Narcisse, Écho est délaissée par tous les deux, homosexuellement parlant, Socrate est le meilleur des sophistes et Platon reste à planer sur la république, l'état et le « time ».
Être ou ne pas être, foutre ou s'en foutre, où est la question?
Nous avons vécu et vécu....Nous vivons, nos actes font jurisprudence, pas par prudence mais par excès.
Nous nous foutons de la gueule enfarinée du monde, de ceux qui pédalent dans la choucroute, et nous mangeons du couscous nature, par respect de la vache folle fabriquée par Dédale au désir de Mme Thatcher, « l'ultra-liberal-woman ».
Vous êtes réglementés, le vert tourne au vinaigre.

Que voulez-vous nous donner, que nous n'avons déjà, que nous n'avons déjà eu par notre façon d'être-né-être. Ou alors dites-nous si vous voulez nous acheter, et on vous dira : ce n'est pas le montant du prix qui ne nous convient pas, c'est que nous ne sommes pas des chevaux de cru montés par des prix, nous sommes des centaures remontés par nos instants-intincts. Et si nous avons quelque chose à vous suggérer, qui se dégage de ce que nous avons vécu en tant que ce que nous sommes, c'est de réinstaurer l'ancienne loi de la gratuité, naturelle à tout être dans son devenir citoyen (le droit de cité).

Gratuité des espaces, Gratuité des actes, Gratuité du pommier qui donne des pommes, Gratuité du platane qui donne de l'ombre, Gratuité de la terre qui retient nos pieds, Gratuité de l'air qui emplit nos poumons, Gratuité des murs qui retiennent nos tableaux, Gratuité du jus qui allume notre nuit, Gratuité du cannabis qui ne fait pas de vice, Gratuité d'être au monde, parce qu'on ne peut pas être ailleurs, mes chers messieurs...

Alors nos revendications, Mesdames et Messieurs, éco-républicains à l'état affecté, sociaux-listes de notre pendentif appareil sexuel...:
Nous voulons restituer la gratuité de la terre, de l'air, de l'eau et du feu pour tout le monde.
Nous avons mangé les miettes qui tombent du banquet où les riches décident du bien-être du monde, nous mangerons les fruits verts du socialisme attardé au cocon de droite tarie.
Je suis ergo-cogito, ergo je squatte.

La terre ne vous appartient pas, et encore moins « l'éco-système », notre biotope à nous est fait de gratuité et de convivialité, voilà le collectif, où le mot association émerge quand les sujets font acte de connivence, penser la vie, arter, l'être est « transparence », en faire c'est de la foutaise.

Nous ne voulons pas plus que ce que nous sommes et que nous avons été — c'est l'art de se suffire à soi sans tarir sa soif—des êtres gratuits dans la gratuité d'être. Ne cherchez pas un surplus. La plus-value, ça vous appartient, Marx vous en a fait cadeau, nous sommes dans la value, alors faites avec nous comme nous faisons, ou allez vous faire foutre par le mâle-marché, ce condom qui couvre les esprits des villes emplis de désir de toute puissance ( de ceux qui ont pris leur cerveau pour leur cul et essayent de péter toujours plus haut que leur tête ).

Un lieu est libéré par des êtres, aux êtres eux-mêmes à se libérer du lieu.
Nous ne voulons pas de votre légalité, nous voulons de la nôtre. Notre légalité s'appelle gratuité.
Les pommiers produisent des pommes, mais ne se soucient pas de combien pourriront par terre, de combien seront picorées par les oiseaux, bouffées par les singes, et de combien de graines feront des petits pommiers.
Tout contrôler, maîtriser, c'est finalement tout perdre.

Nous ne sommes pas des artistes ayant besoin d'ateliers, nous sommes des Hommes, et notre art est de le rester. Donnez aux machines ce qui est de la machine, aux marchés de la marchandise, aux consommateurs de la consommation, et à nous, foutez-nous la paix, s'il vous plaît ( restons à poil ). Nous n'avons pas besoin de votre reconnaissance. Venez nous rejoindre ou alors cassez-vous, restez dans vos casses aux caractères en bois pour nourrir la machine imprimée, ce cliché qui vous tient tellement aux tripes, qui pend tellement bien de votre gueule, là où vous vous accrochez au bout de votre langue à un cintre pour rester toujours sur votre trente et un, histoire de rester cons dans la prétention de ne pas mourir, soi-disant de rester éternels dans la mémoire des cons, à nourrir des conneries vingt-quatre heures sur vingt-quatre, par peur de dépérir de cette solitude don vous avez tellement peur. Parce que si vous aviez à supporter votre gueule vingt-quatre heures sur vingt-quatre devant un miroir, vous ne dépasseriez pas les quarante-huit heures nécessaires à la loi pour nous foutre un procès au cul. Et vous vous lavez les mains et la conscience au nom de tous les animaux là où il s'agit de mettre un prix à la vie, un domaine dans lequel on veut bien vous reconnaître de fortes compétences.
Squattons ensemble, voilà le salut.

Luis Pasina